Favre, Expo 64; 24 heures (Hrsg.): Expo 64: 50 ans après. Comment les rêves et les préoccupations de l’époque résonnent encore aujourd’hui. Lausanne 2014 : Éditions Favre, ISBN 978-2-8289-1482-0 159 S.

: Expo 64: le printemps de l’architecture suisse. . Lausanne 2014 : Presses polytechniques et universitaires romandes, ISBN 978-2-88915-067-0

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Gilbert Coutaz

Trois publications ont marqué la commémoration du cinquantième anniversaire de l’Exposition nationale de Lausanne de 1964. La manifestation avait déjà suscité des travaux monographiques en 1991 et en 2000. Il ne fait pas de doute que l’Expo 64 a marqué les esprits et toute une génération; son souvenir vivace a justifié de nombreuses démarches en 2014, dont les trois publications sont la forme la plus aboutie.

Le quotidien 24 heures a consacré quotidiennement des articles, entre le 18 août et le 19 septembre 2014, à l’événement fondé à chaque reprise sur une photographie. L’éditeur Pierre-Marcel Favre en a tiré un livre qui «prolonge le lien» entre le vécu de l’époque et la résonance, cinquante ans après, sur différents témoins de
l’Expo, à l’aide de photographies alternant le noir et blanc et la couleur, et de textes puisés au webdoc ouvert pour l’occasion par le journal.

Puisant dans leurs richesses documentaires, les Archives de la construction moderne livrent un véritable catalogue de photographies, d’esquisses, de plans et de maquettes de l’architecture de l’Expo 64, en soulignant les aspects novateurs et les lectures renouvelées de la démarche. Le titre «Le printemps de l’architecture suisse» situe justement l’impact de la manifestation qui, dans une contrainte de l’éphémère et de systèmes constructifs facilement démontables, a su allier de nouveaux matériaux et des audaces architecturales, dans un grand esprit d’émulation intellectuelle. Au-delà des idéaux et des valeurs qu’elle a prônés, l’Expo a permis l’éclosion de visions d’avenir et prospectives. Ce qui a été finalement présenté découle d’âpres luttes sur l’implantation de la manifestation, entre d’un côté une approche concentrée et resserrée des bâtiments à Vidy et le comblement de près de 550000 m2 de surface sur le lac, de l’autre une lecture par des noyaux décentralisés reliés par des voies de circulation (le projet «Exnal »). L’architecture a dû s’intégrer aux principes arrêtés pour le déploiement de l’Expo: l’organisation multicellulaire, la coexistence de trois circuits de visite d’une part et l’intégration et du contenu et du contenant d’autre part. L’attention est portée sur l’archi tec ture pavillonnaire, les voiles en béton armé et les structures légères de toiles-tentes. Les bâtiments auxiliaires, en marge de l’Expo, tels le Port, la Halle des fêtes, la Gare ferroviaire et le Jardin d’enfants Nestlé trouvent des expressions spécifiques. Le choix tardif, le 30 avril 1959, de l’architecte en chef, Alberto Camenzind, qui sut s’entourer d’une jeune et créative génération de collaborateurs (32 ans de moyenne d’âge), constitua paradoxalement un atout décisif. «En se jouant presque fortuitement des efforts de contrôle et de contention, elle [l’Expo] s’est affirmée par les audaces de ses caractères formels. Alors que le cinéma ne parvenait pas à se défaire d’une surveillance idéologique sans faille, l’architecture et le génie civil ont profité du climat d’urgence prévalant pour proposer ingénument une forme fraîche et innovante, avant même que les contenus ne viennent remplir les lignes du cahier des charges.»

Dans une approche encyclopédique et délibérément scientifique, l’ouvrage conduit sous la direction de François Vallotton et d’Olivier Lugon aborde successivement les thèmes: Politique et économie; Paysage et aménagement du territoire; Art et architecture; Cinéma et médias. Dix-sept auteurs se partagent la matière, la revisitent et en soulignent les apports durables. Les auteurs ont pris la précaution de soumettre leurs thèses avant leur publication, au travers d’un colloque universitaire. L’Expo est examinée comme médium, soit comme «vecteur d’idées, de savoirs et de valeurs», soutenu par l’incorporation des nouveaux moyens audiovisuels. Se combine avec cette première dimension le constat que l’exposition est également un champ de tensions, l’expression de vues dissemblables qui interrogent, «décontenancent » les visiteurs et les amènent à échanger leurs opinions et à en débattre. Il s’agit de s’interroger sur les auteurs de l’Expo et sur ses contenus, traversés par les préoccupations du moment : «l’avènement de la société de consommation et de loisirs, l’urbanisation galopante, la motorisation individuelle, l’automatisation et la tertiarisation du monde du travail, les nouvelles mobilités transnationales, les premiers mouvements de contestation, la guerre froide». L’ouvrage s’impose par l’ampleur de sa réflexion, servie par une illustration de très grande qualité puisée à diverses sources, une mise en page soignée et un appareil scientifique rigoureux. Il introduit l’événement par un recours à l’historiographie, l’inscrit dans son contexte et le confronte au jugement de l’Histoire. Au fil des pages, l’Expo est soumise à différentes interrogations et reçoit diverses interprétations: l’Expo plutôt progressiste que conservatrice?; l’émergence d’une génération et de nouvelles personnalités politiques; le débat public autour du Pavillon de l’Armée et sa force emblématique; l’Expo jugée comme un lieu essentiel de représentation et d’affirmation du pouvoir économique; la cohabitation, plus que la confrontation, d’une Suisse jeune, urbaine et tournée vers le futur, et une autre terrienne et traditionnelle; l’accélération de la transformation du paysage lausannois avec des bilans mitigés selon les secteurs, sous les effets de l’Expo; l’architecture paysagère ne s’est pas manifestée, sinon de façon marginale, en tant que discipline créative autonome à l’Expo; la remarquable synthèse de la conception architecturale de l’Expo; la tournure résolument moderne du graphisme, de la photographie et des oeuvres d’art; la force évocatrice du secteur «Éduquer et créer» de Max Bill; l’impact sur les esprits de la sculpture monumentale de Jean Tinguely, Eurêka; la rétrospective intitulée Art suisse au XXe siècle; la polémique entourant les affiches de l’Expo; le nouveau primat de l’image animée et du son, la fascination exercée par les films d’Henry Brandt, le nombre d’écrans et les modes de projection, la place de référence du film d’Alain Tanner, Les Apprentis, dans le nouveau cinéma suisse; la couverture de la manifestation par la radio et la télévision.

À en juger par les nombreuses manifestations qui ont émaillé l’année 2014, l’Exposition nationale de Lausanne de 1964 continue à exercer une grande attractivité. Avec la disparition des derniers acteurs directs, la question se pose sur les relations entre commémoration et mémoire. L’événement est devenu aujourd’hui un thème de recherche historique et un objet de souvenir. Nul doute que ces trois publications participent de cette dualité. Elles sont appelées à être tout à la fois des parades à l’oubli par la richesse des faits et des informations qu’elles rapportent et des bilans historiques plus ou moins figés.

Zitierweise:
Gilbert Coutaz: Rezension zu: AA. VV., Expo 64: 50 ans après : Comment les rêves et les préoccupations de l’époque résonnent encore aujourd’hui, Lausanne: Favre/24 heures, 2014. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 283-285.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 283-285.

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